Jean-Christophe Vincent est guide de pêche dans le Morbihan et principalement dans la Ria d’Etel, il nous livre ci-après quelques réflexions liées à son métier et à sa passion.

Récemment une décision a été prise dans la plaisance de couper les nageoires des poissons conservés.

L’intention est louable car elle vise à lutter contre certains abus et contre les économies souterraines. Ce terme semble être plus approprié et non pas le terme de braconnage car le braconnage consiste à prélever (capturer ou tuer) une espèce protégée ou une espèce dans une zone protégée. Hors ce n’est pas le cas du bar, il est même possible de le prélever en période de reproduction sur ses zones de frais. On est donc bien en présence de « travail au noir ».

Mais cette mesure est-elle efficace ? Certains en doutent et en voici les raisons. Sur le sud Morbihan il doit y avoir une vingtaine de plaisanciers capables de faire en moyenne 20kg de bar par sortie. Ils ne sortent que lorsque les conditions sont favorables et qu’ils ont le temps soit environ 5 jours par mois. Les ¾ pratiquent un no kill quasi intégral. Les autres, c’est possible vendent peut-être leurs poissons.

Mais à qui ?

Les mareyeurs ? La douane et la gendarmerie maritime sont présents quasiment tout le temps au port de Lorient. Pour 300 ou 400 € le risque est considérable et n’en vaut pas la chandelle, quant aux mareyeurs ils sont les premiers à refuser. Ce sont donc des réseaux privés et couper une nageoire n’aura aucune influence sur cette économie.

S’agit-il d’une mesure visant à calmer les pêcheurs côtiers qui voient des plaisanciers bardés d’électronique prélever quantité de bar devant eux (ce qui doit légitimement les énerver) ? ou s’agit-il de donner un coup de projecteur dans une direction autre que celle où il faudrait regarder ? Ou bien cherche-t-on à créer une prise de conscience chez les plaisanciers ? Ou bien tout ça à la fois ? C’est possible, mais que faudrait-il faire alors ?

Je suis guide de pêche en Morbihan sud en particulier dans la Ria d’Etel. J’ai lu avec beaucoup d’attention l’intervention auprès du parlement Européen de Monsieur Alain Cadec, et je trouve sa démarche courageuse. Il est un fait que nous sommes un peuple frondeur et bagarreur Goscinny ne s’y est pas trompé. Il y a 10 ans, prendre 20kg de bar dans la Ria d’Etel était une chose courante. Aujourd’hui c’est exceptionnel. Nous sommes nombreux à penser que le stock a fortement régressé et d’ailleurs les scientifiques commencent à tirer la sonnette d’alarme.

Entre le moment où ils l’ont fait pour le thon rouge et le moment où une décision a été prise, nous sommes passés tout près de l’extinction de l’espèce et d’une interdiction totale de pêche du thon rouge. Les scientifique ont réussi l’exploit de sauver la moitié de la flotte de thoniers français et de permettre au stock de se reconstituer un peu… Il y a donc de l’espoir, mais attention, comme tous les pélagiques, le thon est un poisson à fort taux de reproduction et de croissance. Ce n’est pas le cas du bar. Aujourd’hui d’autres pays de la communauté européenne souhaitent avoir accès à cette ressource et vu les accords qui existent, je ne vois pas comment il serait possible de l’éviter.

Aujourd’hui chacun se rejette la balle. Pour les plaisanciers la situation est de la responsabilité des pêcheurs professionnels pour qui c’est la faute de la plaisance. Il est a noter que pour les langoustines où il n’y a pas de prélèvement lié à la plaisance, les stocks sont en parfaite santé.

Lorsque les quotas ont été attribués aux professionnels nous n’avons pas anticipé l’expansion de la pêche de loisir (ni ses abus), ni les évolutions techniques qui ont permis d’aller chercher des poissons qui étaient jusque-là tranquilles. Aujourd’hui que ce soit au niveau européen ou au niveau des états la priorité est à l’emploi. Chez nombre de personnes la pêche de plaisance n’est qu’une distraction, génératrice d’emploi certes, mais de façon indirecte. Demain il y aura des quotas pour les plaisanciers.( Mais il existe peut-être une solution pour que ces quotas soient temporaires). Certains disent que 50% des prélèvements peuvent leurs être attribués. Pour ma part j’en doute, mais quand bien même elle ne serait que de 30%….

Lors des hivers de fortes tempêtes il y a 30% de bar en moins de prélevé par les professionnels et 2 à 3 ans après on voit arriver sur les côtes de nombreux petits bars…

Pourtant je suis persuadé que ce qui menace à court terme la pêche de plaisance puis la pêche professionnelle si rien ne change, c’est une interdiction totale de pêche du bar avec toutes les conséquences économiques que ça implique et ce pendant de très nombreuses années (les morues n’ont jamais retrouvé leur stock initial + de 50 ans après).

Sommes-nous capables d’apprendre de nos erreurs et d’anticiper ? Peut-être !
Alors quoi ? Une fermeture biologique ? Ce serait injuste pour les pêcheurs professionnels qui risquent leurs vies tous les jours, qui payent un lourd tribut tous les ans, qui sont soumis à de fortes contraintes économiques, à des quotas, qui pratiquent une pêche très sélective et qui sont les premiers concernés par la protection de la ressource. Et c’est peu probable, de nombreuses filières dépendent de leur activité.

Mon sentiment c’est qu’il va falloir aider le bar pour que les stocks se reconstituent tout en permettant à la pêche professionnelle de continuer ses prélèvements sans avoir à diminuer les quotas. La solution serait peut-être de mettre en place des écloseries (sous le contrôle des scientifiques bien sûr) qui auront pour vocation d’ensemencer des zones favorables (nurserie) et accessoirement fournir dans les années à venir des élevages en haute mer avec les surplus (près des côtes, les problèmes environnementaux sont trop importants).

Mais comment financer ça ?

Avec 1000 milliards de dettes l’état n’en a pas les moyens. Il n’y a malheureusement qu’une seule solution : un permis de pêche en mer.

C’est une question de temps mais ça viendra. Si l’initiative vient des pêcheurs eux-mêmes alors nous serons dans une position favorable pour négocier avec l’état la part qui lui reviendrait. Ce sera à nous pêcheurs d’accepter cette idée douloureuse et de créer des AAPPMAM (Associations de pêche et de protection du milieu aquatique marin) par département littoral ou de créer un département à la fédération de pêche existante. Elle auront pour vocation de financer des écloseries, des réserves de pêches qui profiteront à tous professionnels et plaisanciers ( ça a été démontré partout dans le monde), créer des postes de gardes jurés, aider les professionnels à se moderniser, mettre en place des quotas temporaires pour les espèces sensibles … Elles auront pour vocation de travailler de concert avec les AAPPMA, les DDTM, les pêcheurs professionnels et tous les organismes concernés, car la qualité des eaux de mer dépend de la qualité des tributaires et nous devons aujourd’hui réfléchir en terme de bassin versant.

Il faudra évidement réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour que les professionnels puissent fournir aux écloseries des semences prélevées sur les stocks sauvages afin d’éviter un affaiblissement ou une pollution génétique. Et peut être solliciter le FEP pour trouver des solutions permettant aux professionnels d’accepter cette charge de travail supplémentaire.

J’ai bien peur que ce ne soit qu’à ce prix qu’il sera possible de préserver les emplois liés à la pêche professionnelle, de développer les filières économiques liées au tourisme pêche, de pérenniser les filières économiques liées à la plaisance et de permettre à nos enfants de connaitre la joie de capturer un beau labrax. Je crois que si nous continuons à nous rejeter mutuellement la responsabilité de la situation, chacun ancré dans ses tranchées, rien de constructif ne sortira d’un status quo, si ce n’est quelques mesures, courageuses certes, au détriment de la plaisance et insuffisantes.

Un permis à 25 € donnant le droit de pêcher du bord et en estuaire avec un moteur jusqu’à 25 chevaux me semble raisonnable. Un permis à 90 € pour pêcher en mer aussi. Lorsqu’on peut mettre 90 € d’essence ou plus par sortie on peut investir dans un permis pêche. Un permis enfant à 5 €. Pour ceux qui investissent dans un bateau et qui n’ont pas la chance de sortir souvent, un permis à la journée à 10 €. (On peut aussi investir dans des prestations de guidage quitte à privatiser le bateau à la journée ou à la demi-journée ce qui est somme toute « assez classe » et au final très rentable). Seraient exemptés les revenus modestes bien sûr.
Pour ceux qui ont besoin de revenus complémentaires un permis semi professionnel avec quotas peut être envisagé ce qui permettrait d’éviter une économie souterraine.

L’Etat en prélèverait une partie c’est normal, si elle reste raisonnable (timbres, gestion …) Si les pêcheurs ont le sentiment qu’il ne s’agit pas d’un impôt déguisé et que leur contribution est utile à tous, alors ….

C’est une décision douloureuse en période de crise (payer, payer, payer toujours payer y en a marre…). Elle est susceptible de provoquer la colère légitime de nombreuses personnes et je le comprends car il s’agit d’un des derniers espaces de liberté qu’il nous reste.

Mais le prix à payer pour cette liberté me semble trop élevé pour que je puisse m’y résoudre et rester silencieux.

Jean-Christophe Vincent / A Fun Fish